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  • Ça dit ça

CAA non censurée : l'importance des gros mots et du vocabulaire tabou

Dans le cadre de notre thématique “CAA & Gros mots, on en parle” (retrouvez d'autres publications sur ce thème sur notre groupe Facebook et sur Instagram), nous vous partageons aujourd’hui plusieurs éléments-clés du webinaire présenté par Hali Strickler, orthophoniste américaine, au sujet de l’accès aux gros mots dans les outils de CAA”. 

 

*** ATTENTION *** Du fait du sujet abordé dans cet article de blog, nous voulons vous prévenir que des mots de vocabulaire pouvant être considérés comme vulgaires figureront dans le texte. 

 

Les gros mots : bien plus fréquents qu’on ne le pense ! 

 

Saviez-vous que parmi les 15 000 à 16 000 mots qu’un adulte utilise chaque jour, environ 80 à 90 d’entre eux sont des mots tabous ou des gros mots ? 

 

Ceci constitue environ 0,5 à 0,7% des mots qu’on emploie. 

 

Fait intéressant : le pourcentage des gros mots est un tout petit peu moins fréquent que les pronoms personnels et déterminants à la première personne du pluriel (ex. : nous, notre, nos), qui constituent quant à eux 1% de nos productions, ce que les chercheurs considèrent comme des mots fréquents. 

 

Si à 1%, on juge que les pronoms sont des mots fréquents, que conclure alors, concernant les gros mots, à 0,5% voire 0,7% ? C’est la réflexion que Jay (2009) et Mehl, Pennebaker et leurs collaborateurs (2003, 2007) ont soulevée. 

 

Pourquoi disons-nous des gros mots ? 

 

Lorsqu’on explore la fonction des gros mots dans les échanges conversationnels du quotidien, on réalise qu’on en utilise (peut-être inconsciemment) beaucoup plus qu’on ne le pense... bien qu’on sache qu’on ne devrait pas les dire ! 

 

Jay et ses collaborateurs (2009) comparent l’utilisation des gros mots à celle du klaxon d’une voiture : on peut s’en servir pour exprimer un certain nombre d’émotions, telles que la colère, la frustration, la joie, ou la surprise, par exemple. Et tout comme le klaxon, dire un gros mot peut être plus ou moins intentionnel : on peut le penser avant de le dire, tout comme il peut nous échapper ! 

 

Voici quelques raisons pour lesquelles on peut employer des gros mots. Il est fort possible qu’en les lisant, vous acquiescez... ou bien que vous ne soyez pas du tout d’accord !

 

Et c’est un fait intéressant : d’une personne à l’autre, d’une langue et d’une société à une autre, et d’un contexte à un autre, un même mot pourra être considéré comme un gros mot ou un mot tabou, ou non ! 

 

Si on prend l’exemple d’un rendez-vous médical ou de conversations avec une personne très proche, on peut aborder de façon très explicite des sujets en lien avec notre anatomie sexuelle ou ce qui se passe aux toilettes... ce dont on s’abstiendrait éventuellement avec d’autres interlocuteurs (généralement...), comme notre voisin ou notre employeur.





  • Les gros mots servent à exprimer des sentiments négatifs 

 

Ce sont des mots très porteurs de nos émotions... surtout lorsqu’elles sont négatives ! Avez-vous remarqué qu’on a souvent du mal à trouver les bons mots pour exprimer des émotions positives extrêmes ? On dira souvent alors : “je n’ai pas les mots...” ou “mes mots sont trop faibles pour exprimer...”. En revanche, nous trouvons généralement assez facilement des mots à la hauteur de nos sentiments moins bienveillants... n’est-ce pas ? 

 

Selon des études que Jay et ses collaborateurs citent dans leur recherche (2009), une des raisons pour lesquelles les mots grossiers persistent est qu’ils permettent effectivement d’amener la communication émotionnelle à un degré d’intensité que les mots non tabous ne peuvent pas atteindre. Jay & Janschewitz (2007) expliquent, par exemple, au sujet de l’expression “F*** you !”, qu’elle [...] “transmet immédiatement un niveau de mépris inégalé par les mots non tabous ; il n'y a aucun moyen de transmettre F*** you ! par un discours poli” (traduction libre). 

 

Il semblerait que deux tiers des jurons que l’on exprime soient liés à l’expression personnelle ou interpersonnelle de la colère et de la frustration (Jay, 1992, 2000). 

 

  • Les gros mots utilisés pour insulter quelqu’un 

 

Les gros mots peuvent être utilisés pour injurier ou souhaiter du mal à quelqu’un. Les discours haineux, discriminatoires, le harcèlement sexuel et les abus verbaux sont également constitués, entre autres, de gros mots et de mots tabous

 

  • Les gros mots en réaction à la douleur 

 

Hali Strickler a mentionné dans son webinaire que la recherche aurait démontré que le fait de jurer lorsqu’on souffre aide à se sentir mieux ! En réfléchissant à certaines situations que nous vivons au quotidien, par exemple, quand on se cogne la tête, le coude ou le petit orteil contre le coin d’un meuble, ou quand on se ferme une porte sur un doigt... (vous voyez de quoi on parle ?), il est vrai que le gros mot a un petit effet thérapeutique (disons, au moins égal à celui du “bisou magique”) ! 

 

Nous avons poussé un peu plus loin nos recherches, curieuses de savoir si c’était vraiment vrai... et une étude pakistanaise d’Husain et coll., publiée en 2023, conclut justement que l’emploi des gros mots diminue le stress, l’anxiété et la dépression ! Pour ceux qui douteraient de nos propos, vous trouverez les références de cette étude, accessible librement et répertoriée sur Pubmed (quand même !), à la fin de notre article. 

 

  • Les gros mots pour attirer l’attention 

 

Nous savons tous qu’un gros mot est très efficace pour faire réagir... ! 

 

  • Les gros mots dans l’humour 

 

On recourt très souvent aux gros mots et aux sujets tabous pour faire rire, et particulièrement, à travers des blagues, qui permettent d’aborder sur le ton de la dérision des sujets qui seraient peut-être gênants (ou tabous), dans une conversation plus sérieuse. Dans ce contexte, l’utilisation des gros mots est souvent plus admise, socialement. 

 

  • Les gros mots pour s’intégrer socialement 

 

Les enfants et les ados apprennent les gros mots et l’argot en entendant leurs pairs, et les utilisent, pour s’intégrer dans le groupe. 

 

D’après plusieurs études citées par Jay et ses collaborateurs, l’utilisation des gros mots et des mots tabous favorise l’harmonie et la cohésion sociale, lorsqu’on les emploie dans “les blagues et l'humour, les commentaires sociaux, les conversations sexuelles, les récits, l'argot du groupe, l'autodépréciation ou le sarcasme ironique” (traduction libre d’une citation de Jay et coll., 2009). 

 

  • Les gros mots pour accentuer nos propos 

 

Il s’agira de mettre l’emphase sur l’idée que l’on veut transmettre, en lui donnant plus de poids, qu’elle soit positive ou négative (ce qui rejoint l’idée, ici encore, de l’emploi des gros mots, lorsque notre vocabulaire paraît trop faible pour exprimer ce que l’on veut dire). 

 

Par exemple, lorsqu’on s’exclame : “Cette O*** de fenêtre...” (juron québécois, après s’être cogné la tête), ou encore “ce C*** de raton laveur...” (qui a renversé la poubelle), ”Cette P*** de belle voiture (en admiration devant cette voiture qui n’est visiblement pas commune), etc. 

 

  • L’emploi des gros mots dans les conversations informelles 

 

Certains gros mots ont la réputation d’être utilisés comme “virgules régionales”... Il peut ainsi arriver que l’on ponctue notre discours de mots d’argot ou de gros mots qui paraissent un peu moins vulgaires, dans la communauté habituée à les employer (ex.: les mots “putain”, “con”, ou encore “merde”). 


On peut aussi utiliser les gros mots pour exprimer des marques d’affection. Vous avez sûrement déjà entendu ces expressions, comme “mon salaud”, “ma grognasse”, “t’es con”, curieusement exprimées sur un ton amical ? 

 

À bien y réfléchir, nous utilisons probablement des gros mots bien plus souvent que nous le pensons...!  

 

La place des gros mots dans la CAA 

 

Tout comme leurs pairs neurotypiques, les utilisateurs de la CAA entendent des gros mots autour d’eux. Très tôt, dans l’enfance, ce vocabulaire se développe, et dès la préadolescence, les jeunes disposent déjà d’un stock de gros mots similaire à celui des adultes. Ce n’est donc pas parce que les utilisateurs de la CAA n’ont pas les moyens de les exprimer qu’ils ne connaissent pas des gros mots pour autant. 

 

Peut-on empêcher une personne qui communique oralement de dire des gros mots ? A priori non, à moins d’user d’une contrainte physique, et d’empêcher la personne de parler ! Le fait que l’on choisisse délibérément (pour toutes sortes de raisons) de ne pas donner accès aux gros mots aux utilisateurs de la CAA est donc sujet à réflexion ! 

 

Les chercheurs ayant interrogé des adultes et des adolescents utilisateurs de la CAA soulèvent plusieurs problématiques : 

  • Malheureusement, les personnes handicapées ont tendance à être plus souvent victimes d'abus que les personnes sans handicap, et on sait qu’elles ne signalent pas à la police ou aux autorités compétentes les actes criminels dont elles ont été victimes ; 

  • Ceci s’explique en partie par le fait qu’elles n’ont souvent pas accès au vocabulaire nécessaire pour communiquer à ce sujet dans leur système de CAA (absence de vocabulaire en lien avec les relations sexuelles et les insultes, incluant des injures à connotation sexuelle ou raciale). 

 

Comment parler des abus verbaux ou physiques que l’on subit si on ne dispose pas du vocabulaire pour l’exprimer ou que l’on n’est pas en mesure de le transmettre par écrit ? 

 

Pour conclure, et quand bien même cela dérange... il est important que les utilisateurs de la CAA puissent disposer des gros mots et du vocabulaire tabou dans leur système de communication : 

  • Parce que c'est une demande criante de la part des utilisateurs de la CAA eux-mêmes ; 

  • Parce que donner l’opportunité aux utilisateurs de la CAA de pouvoir dire tous les mots qu’ils veulent dire et de décider de les utiliser ou non (une fois qu'ils auront eu à en assumer les conséquences), soutient l’affirmation de soi, l’expression et l’identité personnelles

  • Parce qu’en les expérimentant, ils pourront mieux en comprendre le sens et l’impact social (mais aussi, par conséquent, ne pas accepter qu’on les leur dise et dénoncer les abus de toutes sortes dont ils peuvent être victimes).





Pour en savoir plus, nous vous invitons à écouter le webinaire d’Hali Strickler, orthophoniste et coordinatrice des services de CAA à l’Université Temple (Philadelphie). Cette conférence d’environ une heure est disponible sur YouTube, sous le nom de : “Uncensored AAC : Exploring AAC Access to Profanity, Swearing, & Slang”. 

 

En téléchargeant les notes de cette conférence, vous aurez accès à une liste des références sur lesquelles Hali s’est appuyée dans sa présentation, auxquelles nous ajoutons la suivante : 

 

Husain W, Wasif S, Fatima I. Profanity as a Self-Defense Mechanism and an Outlet for Emotional Catharsis in Stress, Anxiety, and Depression. Depress Res Treat. 2023 May 3;2023:8821517.

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