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  • Ça dit ça

Modéliser en classe : par où commencer ?

Par Floriane Olivier, orthophoniste, et Julie Paquet, enseignante


Récemment, nous vous avons présenté une étude évaluant l’efficacité d’une intervention au cours de laquelle un membre de la famille (la mère) d’une enfant utilisatrice de CAA, Ambre, 7 ans, jouait le rôle du formateur et de l’accompagnateur avec les autres membres, après avoir lui-même bénéficié d’un entraînement à la modélisation à l’aide d’un appareil de communication avec l’un des chercheurs (pour en savoir plus, consultez notre publication à ce sujet : Quand un parent enseigne comment modéliser à toute la famille).

Plusieurs aspects de cette étude ont retenu notre attention tant au niveau du protocole que des résultats :

  • L’intervention (formation et accompagnement) a été validée par plusieurs membres d’une famille appartenant à des groupes d'âge différents (enfant, adultes âgés entre 25-35 ans, adulte de 60 ans et plus) ;

  • Les différentes phases de l’intervention étaient bien décrites dans l’article, et semblaient pouvoir s’appliquer en dehors d’un contexte de recherche ;

  • La personne formée (maman d’Ambre) a su offrir une formation et un accompagnement de qualité (fidélité procédurale de 100%) aux autres membres de la famille, après avoir bénéficié d’un entraînement avec l’un des chercheurs ;

  • Tous les membres de la famille, qui n’avaient jamais entendu parler de la modélisation auparavant, sont devenus capables d’offrir des modèles de grande qualité à la fillette, à l’aide de son appareil de CAA, en quelques semaines seulement ;

  • Les membres de la famille ont apprivoisé l’appareil de CAA et réalisé son importance pour permettre à Ambre de mieux se faire comprendre par les partenaires de communication moins familiers ;

  • La petite fille utilisatrice de CAA a commencé à se servir davantage de son appareil de communication.

Suite à la lecture de cette étude, et constatant que l’expérience avait fonctionné auprès de la famille d’Ambre, nous nous sommes posé la question suivante : pourrait-on s’inspirer de cette intervention pour intégrer la modélisation dans de nouvelles classes d’élèves utilisateurs de CAA, et notamment auprès des intervenants de nos jeunes présentant un diagnostic de TSA ?

Nous avons pensé que le fruit de ces réflexions pourrait aussi vous intéresser, et nous vous les partageons donc dans ce second volet consacré à l’étude de Sarah N. Douglas et de ses collaborateurs.

Dans cette publication, nous nous pencherons davantage sur les stratégies enseignées aux membres de la famille d’Ambre, lors de la formation qu’ils ont reçue, ainsi que sur la manière dont ils ont été accompagnés par la suite. Nous vous partagerons la façon dont nous avons adapté cette intervention à notre milieu scolaire ainsi que les outils que nous avons élaborés pour faciliter notre travail, auprès de nos collègues.

Observations initiales des partenaires de communication

Les chercheurs ont passé la première partie de l’étude à observer les interactions entre les membres de la famille et Ambre, en sachant que son appareil de communication était accessible durant ces moments, afin d’établir un niveau de base.

Une première étape peut donc consister à observer en classe (sans intervenir) comment l’équipe interagit avec le jeune et comment son outil de communication est utilisé au quotidien. Ceci permet d’apprécier ce qui est déjà en place, de cibler les besoins et de pouvoir mesurer les progrès par la suite.

À cet effet, nous avons élaboré une grille, en nous inspirant du protocole utilisé dans l’étude, afin de mieux cibler nos observations. Si vous souhaitez l’utiliser, vous la recevrez dans nos infos-lettres des 3 prochains mois (novembre et décembre 2022 ainsi que janvier 2023) !

Former les partenaires à la modélisation

Dans l’étude de Sarah N. Douglas, les membres de la famille ont bénéficié d’une formation à la modélisation. Le contenu a d’abord été transmis à la maman d’Ambre, par le quatrième auteur de l’article. Il est intéressant de noter que cet auteur était un étudiant en doctorat supervisé par Sarah N. Douglas (professeure et chercheure à l'Université du Michigan, spécialisée dans l'accompagnement de l'entourage d'enfants utilisateurs de CAA, en DI et TSA), et qu’il détenait une maîtrise en éducation spécialisée ainsi qu’un certificat en autisme.

Le contenu de formation de l’étude consistait en des explications orales, des supports visuels (exemple : présentation, vidéos), ainsi que des discussions. Il pouvait être délivré en moins d’une heure (de 31 à 58 minutes, selon les membres, avec une moyenne de 42 minutes) et s’articulait autour des 4 étapes suivantes :

  • Préparer

  • Montrer

  • Attendre

  • Répondre


Préparer

La phase de préparation consistait à choisir une activité appréciée par le jeune, à laquelle un partenaire de communication pourrait se joindre, et permettant de susciter plusieurs opportunités de communication. Il fallait également identifier dans cette activité le vocabulaire qui serait modélisé (mots de base, surtout, et mots spécifiques selon les besoins).

Montrer

Par la suite, on enseignait au partenaire de communication comment modéliser avec l’appareil de CAA lors des interactions avec le jeune. Les principes suivants lui étaient communiqués :


- S’assurer que l’appareil de CAA est dans le champ de vision et à la portée du jeune en tout temps ;

- Utiliser un langage non directif pour faciliter la communication du jeune à travers :

  • Des choix ;

  • Des questions ouvertes ;

  • Des commentaires ;

  • Des réponses aux intentions de communication du jeune.

- Modéliser en fonction du niveau de communication actuel du jeune : soit autant, soit un mot de plus que ce qu’il est en mesure de produire avec son appareil de CAA ;

- Accompagner l’utilisation de l’appareil de CAA d’un message oral grammaticalement correct.

Exemple dans l’étude de Douglas : Pour Ambre qui activait entre 1 et 2 symboles sur son iPad, dans un tour de conversation, les participants ont appris à modéliser entre 1 et 3 symboles sur son appareil de CAA, même si leurs énoncés oraux étaient plus longs.

Attendre

On apprenait ensuite au partenaire de communication à marquer une pause de 3 à 5 secondes, suivant la modélisation, pour permettre au jeune de prendre son tour.

Répondre

Pour finir, on enseignait au partenaire de communication à répondre aux initiatives de l’utilisateur de CAA en accédant à ses demandes, et en développant ou en reformulant ce qu’il exprime.


Pourquoi et comment la formation s’adapte bien à un milieu scolaire ?

Cette formation étant de courte durée (moins d’une heure), elle peut facilement être transmise à un intervenant (par exemple, un enseignant), à l’occasion d’une rencontre. Il vaut mieux que la formation initiale soit transmise par une personne ayant certaines connaissances ou de l’expérience en CAA, tout comme le chercheur chargé de former Megan dans l’étude, car il lui faudra également jouer un rôle d’observateur et d’accompagnateur, dans la suite de l’intervention.

Les stratégies enseignées et les étapes sont claires, puisqu’elles ont été rapidement comprises et appliquées par des personnes de tout âge (enfant et adulte), sans bagage en ce qui concerne la modélisation, avant l'étude. On peut donc imaginer que transmises à des enseignants détenant déjà une formation et une expérience avec les utilisateurs de CAA et le TSA, de telles stratégies pourront avoir un impact au moins équivalent. Pour soutenir davantage les partenaires de communication, tout comme l’ont fait les auteurs de l’étude, un aide-mémoire pourrait leur être remis (à cet effet, nous en avons élaboré un, que vous pouvez voir ci-dessous : « Apprendre à modéliser en 4 étapes »).

De plus, l’idée d’introduire la modélisation à travers une activité ciblée dans un premier temps nous a paru très réaliste. Ceci permet au partenaire qui apprend à utiliser l’appareil de CAA du jeune pour soutenir son message oral, de s’approprier cette façon de faire sur une courte période, durant laquelle il pourra s’assurer d’appliquer toutes les stratégies enseignées. Dès qu’il se sentira plus à l’aise et qu’il offrira des modèles de bonne qualité au jeune, le partenaire pourra cibler un nouveau moment du quotidien, dans lequel il intègrera la modélisation et ainsi de suite.



Si vous souhaitez avoir un aperçu du matériel conçu par les auteurs de l’article pour la formation et l’accompagnement des partenaires de communication, sachez qu’il est disponible sur demande : il suffit de contacter Sarah N. Douglas pour l’obtenir. Nous avons donc essayé et reçu les documents ! N'hésitez pas !

Accompagner les partenaires de communication

Suite à la formation, chaque participant était accompagné par le formateur (le chercheur ou la mère, une fois entraînée), sur de courtes périodes d’une durée de 15 à 20 minutes chacune. Ces sessions d’accompagnement survenaient deux fois par semaine.

Chaque session était constituée de 3 périodes :

Avant l’observation :

Un premier moment d’échange entre le formateur et le partenaire de communication vise à faire un retour sur ce qui s’est passé depuis la dernière session. On pourrait par exemple demander au partenaire s’il a eu l’occasion de modéliser, comment ça s’est passé, etc. De ce premier échange peut découler un plan de match pour aujourd’hui, des objectifs précis sur lesquels mettre l’emphase. C’est aussi un bon moment pour revoir les stratégies de modélisation enseignées lors de la formation initiale.

Pendant l’observation :

S’ensuit une période d’observation d’une dizaine de minutes, durant laquelle le partenaire interagit avec le jeune et modélise, lors de l’activité préalablement ciblée. À ce moment, le formateur n’intervient pas et peut noter ses observations (en s’aidant de la grille d’observation des attitudes du partenaire de communication en situation de modélisation).

Après l’observation :

Un second moment d’échange entre le formateur et le partenaire de communication permet une rétroaction sur l’utilisation des stratégies de modélisation, durant l’activité avec le jeune, qui a pour but de permettre au partenaire de repérer par lui-même ce qu’il réussit et ce qu’il doit encore améliorer.

Dans l’étude de Sarah N. Douglas, le nombre de sessions d’accompagnement dépendait de la qualité de la modélisation offerte à Ambre par les membres de la famille. L’accompagnement prenait fin lorsque les participants appliquaient toutes les stratégies enseignées dans 80% des modèles donnés durant trois sessions.

Pour rappel, les membres de la famille ont eu besoin de 3 à 9 sessions d’accompagnement (un peu plus de 6 sessions en moyenne) pour obtenir 80% de modèles de bonne qualité par participant.

Pourquoi et comment accompagner les intervenants en milieu scolaire ?

Un avantage important à accompagner les partenaires de communication en milieu scolaire, est le gain de temps et de qualité que cela apporte, à moyen et long terme. L’orthophoniste ne peut pas modéliser à tous les élèves, à tout moment !


Compte tenu du bain de langage dont ont besoin nos jeunes, il est nécessaire que des partenaires de communication leur offrent des modèles de bonne qualité le plus souvent possible, au quotidien. Ainsi, un enseignant habilité à modéliser va non seulement rendre service à l’élève avec lequel il a appris à le faire, mais tous les autres jeunes de la classe de cette année et des prochaines, vont également en bénéficier.


Un enseignant qui a l'habitude de modéliser est aussi un agent multiplicateur, qui pourra à son tour accompagner le reste de son équipe (éducateur, préposé, enseignant partenaire), les parents du jeune ou encore des intervenants du réseau de la santé qui viennent observer les élèves en classe.


Un autre aspect intéressant de l’accompagnement offert dans cette étude est qu’il s’agit, encore une fois, de courtes sessions (15-20 minutes). Il n’est peut-être pas toujours possible d’offrir aux partenaires de communication deux sessions par semaine, comme dans cette recherche. Néanmoins, même si cela doit s’étaler davantage dans le temps, il est encourageant de constater qu’en quelques sessions seulement, la qualité des modèles offerts s’améliore (selon les résultats obtenus avec la famille d’Ambre). Par conséquent, si les sessions d’accompagnement avaient lieu une fois par semaine ou une fois toutes les deux semaines, on pourrait espérer voir des améliorations nettes après un mois et demi à trois mois. Cela nous semble déjà très bien, pour des intervenants qui partiraient de zéro en modélisation !

Maintenir de bons modèles

Suite aux sessions de formation et d’accompagnement, chaque dyade a été observée, toutes les deux semaines, à cinq reprises, en vue d’évaluer si les participants continuaient à employer les stratégies de modélisation. Durant cette phase, le formateur n’échangeait pas avec les participants et observait uniquement les interactions de chaque dyade. Les sessions duraient une dizaine de minutes en moyenne.

Pourquoi et comment assurer une phase de maintien en milieu scolaire ?

Pour aller plus loin que l’étude de Sarah N. Douglas, un suivi régulier des partenaires de communication permettra de s’assurer qu’ils continuent à utiliser les stratégies de modélisation, mais aussi qu’ils les intègrent de plus en plus dans la vie quotidienne. On pourra par exemple les encourager à modéliser dans de nouvelles activités ou situations, en veillant à ce que peu à peu, la modélisation devienne une « seconde langue », une habitude de tous les jours. Le suivi peut prendre la forme de rencontres et d’observation, dont la fréquence dépendra de la disponibilité du formateur-accompagnateur (ex. : orthophoniste, enseignant, etc.).

En milieu scolaire, on n’est jamais à l’abri d’un changement d’intervenant. Il est donc important de s’assurer qu’au moins un membre de l’équipe-classe soit assez à l’aise avec la modélisation pour aider les autres intervenants à adopter cette façon de faire.

Finalement, même si les intervenants appliquent adéquatement les stratégies de modélisation enseignées, un suivi de l’orthophoniste demeurera nécessaire pour déterminer de nouveaux objectifs dans les différentes compétences de la CAA (linguistique, opérationnelle, sociale, stratégique), ainsi que dans le développement du langage et de la communication du jeune, en fonction de son évolution.

En conclusion


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